Qui construit Ethereum ? Pour répondre à cette question, cette série d’interviews présente les français qui y contribuent au sens large : développeurs du protocole, développeurs d’applications, graphistes, investisseurs, utilisateurs, membres actifs de la communauté…

Aujourd’hui nous rencontrons Vincent le Gallic, co-fondateur et CTO de Rockside.io

Bonjour Vincent, merci de prendre un peu de temps pour Ethereum-France aujourd’hui. Pour commencer pourrais-tu te présenter en quelques mots?

Bonjour, je m’appelle Vincent le Gallic, j’ai 33 ans. Je suis cofondateur et CTO de Rockside (ex-Blockchain Studio).

Peux-tu nous expliquer ce que tu fais comme si on avait douze ans?

Mon job est d’identifier un problème et de créer une équipe de personnes compétentes pour régler ce problème. La blockchain aujourd’hui c’est un peu comme le début d’internet, il y a du potentiel mais personne ne peut vraiment l’utiliser. On développe un outil qui s’adresse aux développeurs pour leur simplifier l’usage de cette technologie.

Pourquoi dis-tu qu’elles ne peuvent pas utiliser la Blockchain ?

Avant Paypal ou Stripe sur Internet, les développeurs devaient gérer les paiements de leur utilisateurs. Il fallait gérer des numéros de cartes bancaires et utiliser les outils de sa banque, c’était complexe et très risqué. Lorsqu’on veut développer un service sur la Blockchain, on rencontre le même type de problèmes. Toutes les boîtes se posent les mêmes questions: comment  gère-t-on nos clés privées, qui achète le gas, comment accède-t-on au réseau… toutes ces questions s’appliquent au moment du développement mais pas seulement. Lorsqu’arrive la question de la façon dont les utilisateurs vont interagir avec l’application, on a le choix soit de les faire utiliser un service comme Metamask (ou équivalent) ou gérer soi-même les clés de ses clients.
Selon moi aucune grosse boite ne lancera un produit grand public en demandant aux utilisateurs de télécharger une extension navigateur, d’acheter des Ether pour payer les frais de réseau, de signer des messages, de faire un backup de sa seed, etc. Ainsi, la gestion  des clés de ses clients est souvent la solution retenue aujourd’hui. Au delà de (re)centraliser le système (car finalement pourquoi pas si cela convient à l’utilisateur et à l’entreprise) lorsqu’on commence à gérer les clés de ses clients, la complexité des développements et le niveau de sécurité requis n’a plus rien à voir.
La bonne nouvelle c’est que des startups comme Argent.xyz prouvent qu’on peut créer une app Ethereum avec un onboarding au top en conservant les avantages d’un système décentralisé pour l’utilisateur final. Mon but c’est que le prochain « Argent.xyz » n’ait pas besoin de faire un an de R&D pour y arriver.
Si on veut rendre le protocole utilisable par les entreprises, c’est finalement assez compliqué, il y a beaucoup d’aspects à prendre en compte, cela va d’un coffre-fort pour gérer des clés à des solutions d’onboarding à base de meta-transaction pour les utilisateurs.

Qu’est-ce que tu faisais avant ?

En 2008, j’ai monté une société de développement logiciel avec un pote alors qu’on était à la fac, on l’a vendu 8 ans plus tard. On a développé tout un tas de projets, pour nous et pour des clients, sur le web puis sur mobile. J’aime bosser sur des technologies émergentes, si tu règles un vrai problème, même sans gros budget marketing/sales tu peux avoir beaucoup de succès. On a géré un produit SaaS avec 35 000 associations alors que j’habitais encore chez mes parents. Après la vente de ma boite et pour me former à la techno j’ai lancé Charity Chain. J’ai surtout passé du temps sur Solidity pour les smart contract. J’ai participé à mon premier Meetup Asseth en fin d’année 2016. Il y avait une blague de Jérôme (n.d.l.r. le président de l’association Ethereum-France, anciennement Asseth) dans une slide ; une clé privée qui permettait de récupérer des Ethers, mais personne ne savait le faire : c’était vraiment le début, les gens dans le public étaient curieux mais ne comprenaient pas grand chose. J’ai participé à la première édition d’EthCC et l’Asseth m’a fait rencontré beaucoup de gens inspirants dans la communauté.

Du coup, tu te lances à fond dans Charity Chain ?

Non, c’était surtout un challenge technique et d’autres initiatives comme Giveth.io ou alice.si me semblaient déjà bien avancées sur le sujet du “non profit” sur la Blockchain. Et c’est à ce moment que j’ai rencontré Corentin (co-fondateur de Rockside). Le projet Blockchain-Studio a été initié par Engie et Maltem pour créer un outil de génération de smart-contract, suite au succès interne de cet outil. Ils ont cherché à créer une startup pour aller plus loin sur cette technologie. On a donc lancé cette startup avec Corentin. On a levé 2M€ à l’époque.

Comment avez-vous développé votre projet?

On a interviewé des utilisateurs en entreprise. Le pain point le plus important à l’époque c’était la gestion des noeuds, que ce soit pour monter des blockchain de consortiums ou pour interagir avec le mainnet Ethereum. Lors de la seconde édition d’EthCC, on a lancé la version “On premise” de Rockside, puis la version SaaS a suivi quelques mois plus tard. On a eu énormément de feedback, avec plus d’une centaine de boîtes qui ont testé Rockside. Cette version nous a permis d’identifier les 3 barrières que nous devions supprimer pour permettre aux entreprises d’utiliser la technologie en production: la sécurité (cf l’explosion du vol de crypto sur les échanges), le cost-control (cf un développeur qui se trompe et paye un transaction ½ milion de $), la compliance (cf le blocage de l’ICO de Telegram par la SEC).

Rockside du coup, ce n’est pas du B2C mais du B2B ? Vous ne vous adressez pas aux consommateurs finaux?

En effet, les problèmes en C2C sont très différents de ceux des entreprises. Un exemple non blockchain permettant d’illustrer mes propos est Spendesk. Le pitch c’est de centraliser l’ensemble des dépenses de l’entreprise pour garder le contrôle. Il y a des cartes physiques plafonnées, des cartes virtuelles sécurisées… bref tout un tas de solutions de « policy » pour contrôler et automatiser les dépenses. Notre vision c’est qu’au même titre qu’on ne donne pas un accès illimité au compte en banque de l’entreprise à tous les salariés, une clé privée qui représente ou donne accès à des actifs de l’entreprise ne doit jamais être divulguée. Rockside permet de définir des droits d’utilisation des clés, ces droits sont paramétrables (quel smart-contrat, quel montant, …), auditables et surtout révocables. L’autre aspect concerne l’onboarding mais j’en ai déjà parlé, on simplifie la mise en place de transactions « gasless » notamment pour les startups qui développent des Dapp sur Ethereum.

Quelles sont vos difficultés au jour le jour chez Rockside?

Il y a la difficulté à recruter des ingénieurs seniors avec la pénurie de profils (sécurité, devops, …). Il y a aussi la difficulté d’identifier les problèmes communs à tous les utilisateurs. Je ne crois pas au mythe de la vision du CEO / CTO pour créer une licorne. Il faut prendre du feedback des utilisateurs et bien exécuter. Quand une transaction part d’une entreprise, c’est comme un paiement, cela engage beaucoup de départements: marketing, compliance, finance, produit, etc. Si on veut qu’Ethereum se développe, il faut prendre en compte les contraintes des entreprises, c’est essentiel pour avoir des vrais cas d’utilisations de cette technologie.

Et financièrement, avez vous levé des fonds pour Rockside ? Ou est-ce que vous bootstrappez votre développement?

On est en train de lever en série A entre 8 et 10 millions d’euros. Sur la version actuelle de notre produit, c’est plus de 2 millions de requêtes, une centaine d’utilisateurs, deux boites du CAC 40 et 4 startups avec des licences longue durée. On a validé qu’on réglait un problème réel pour les entreprises qui veulent faire de la blockchain, peu importe leur taille ou leur industrie.

Pourquoi as-tu choisi d’utiliser la blockchain Ethereum ?

En 2016, par rapport à l’idée que j’avais de créer un contrat autonome de crowdfunding, Ethereum m’a semblé adapté à mon besoin. Plus que la technologie, j’ai surtout vu qu’il y avait une communauté active autour du protocole.

Est-ce que tu as eu des doutes sur ce choix là à certains moments ?

Oui. J’évolue dans un monde corporate dans lequel chaque industrie a essayé de développer sa propre blockchain. A chaque fois qu’on voyait un client, il nous demandait de nous connecter sur son protocole. Il a fallu temporiser au lieu de refuser, et on a eu raison car la plupart des protocoles ont eu une durée de vie de 15 à 24 mois… Et en tant que petite équipe, se tromper de protocole aurait été une décision fatale à l’entreprise. De voir aujourd’hui la Fondation Ethereum et ConsenSys au conseil de Hyperledger nous conforte dans notre choix.

Quelle évolution vois-tu émerger de l’écosystème dans les prochaines années ?

Je crois beaucoup en la DeFi. Quand je vois les listes d’attentes de plusieurs centaines de personnes sur une app iOS pour un Wallet qui permet d’utiliser ces produits, je vois une traction. On est pas sur de la divination, on est sur des startups qui commencent à avoir un vrai product market fit. C’est un très bon signe. Ces startups ne sont pas en train d’améliorer les systèmes financiers existants, ils sont en train d’en développer de nouveaux.
C’est très difficile aujourd’hui de chiffrer, de désigner les secteurs qui vont émerger – au même titre que c’était très difficile au moment de l’émergence d’Internet. Mais on a des signaux forts sur ces produits, alors je dois faire en sorte que Rockside permettent de simplifier leur développement. Et le fait que tous les acteurs du privé et du public commentent ces innovations prouve qu’ils se sentent concernés, cela montre qu’il y a  une réelle innovation et pas seulement un buzzword. Je m’y connais en buzzword, j’ai bossé sur les Rich Internet Application (RIA) pendant trois ans.

Quel est ton rapport à la spéculation autour des crypto-monnaies ?

J’ai acheté très peu de bitcoins il y a très longtemps. Ensuite, j’ai essayé de profiter de la volatilité des prix, et j’aurais mieux fait de ne rien faire. J’étais curieux par rapport au trading, mais je pense que c’est un métier et ce n’est pas le mien. Aujourd’hui, mes sujets sont la DeFi, la supply chain, la traçabilité, la tokenisation… je vois dans tout ça beaucoup de valeur ajoutée pour les entreprises. La spéculation va toujours exister sans empêcher l’émergence des autres use cases.

Peux-tu nous décrire une application Ethereum utile?

Honnêtement, pour moi c’est un énorme problème, je manque d’exemple. C’est aussi ce qui me motive tous les jours sur Rockside, je suis convaincu que le potentiel de cette technologie n’est pas exploitée. Il n’y a rien de comparable entre mon usage d’internet, qui me sert vraiment, et mon usage des dapps. Ce sont les startups et les grandes entreprises qui vont inventer les usages de demain. Il y a un tel changement de paradigme, cela prendra du temps! Mais je suis certain que des « killer dapps » arriveront aussi pour le « grand public » à l’image de Maker pour la finance ou gitcoin.co pour les freelances.

NDLR: Retrouvez Rockside.io à EthCC[3] – Ethereum Community Conference les 3-4-5 Mars prochain a la Maison de la Mutualité. Sponsor récurrent des conférences l’équipe sera présente avec leurs nouveaux produits!

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