Interview de Vitalik Buterin, créateur d’Ethereum et Président de la Fondation (partie 1 sur 2)
Interview
Vitalik Buterin est l’esprit à l’origine d’Ethereum. A l’âge de 19 ans, il a l’intuition qu’une blockchain programmable est le futur de l’informatique. Il lance le projet qui va devenir le plus gros crowdfunding de cryptomonnaie de l’histoire, qui se concrétisera par la première version publique d’Ethereum en août 2015. Canadien et parlant français, il a accepté de répondre à nos questions sur sa vision, son ambition et l’avenir d’Ethereum. Compte-rendu en deux parties de nos passionnants échanges.
Interview réalisée avec l’aide de Quentin de Beauchesne, fondateur de la communauté francophone CryptoFR, et des membres de cette communauté. Les questions posées par les membres sont attribuées à leurs auteurs entre parenthèses, les questions non attribuées étant posées par Quentin ou moi-même. Les réponses ont été légèrement reformulées pour en faciliter la lecture.
Comment est né Ethereum ?
En Avril 2013, j’étais étudiant à l’université et rédacteur en chef de Bitcoin Magazine. J’ai assisté à la hausse du prix du Bitcoin jusqu’à $260. J’ai pensé que c’était le genre d’opportunité qui arrive une fois dans une vie, et j’ai voulu… faire quelque chose d’intéressant dans cette industrie naissante. En mai, je me suis rendu à la conférence Bitcoin à San Jose, et j’ai vu que c’était déjà une vraie industrie et qu’il y avait beaucoup de projets, beaucoup d’entreprises… Cela a renforcé ma détermination.
J’ai alors choisi d’abandonner mes études, et de faire un grand voyage aux États-Unis et en Europe pour voir ce que faisaient les acteurs du Bitcoin. J’ai voyagé au New Hampshire, en Espagne, en Italie, en Suisse et en Israël. En Israël, j’ai découvert une communauté très avancée de gens intelligents, qui réalisaient beaucoup de projets, parmi lesquels les « colored coins« , Mastercoin, etc. Je pensais que l’idée des « cryptomonnaies 2.0 », c’est à dire l’idée qu’on peut utiliser la technologie blockchain pour beaucoup d’applications, y compris les contrats financiers, le financement participatif, l’enregistrement des noms de domaine, l’assurance, et beaucoup d’autre choses était très intéressante, et que ce serait peut-être le futur de la technologie.
J’ai vu que les projets qui existaient à l’époque permettaient de faire beaucoup de ces choses, mais chaque semaine on découvrait une nouvelle application et ces projets existants n’étaient pas assez flexibles : quand un nouveau type d’application était découvert, il fallait changer le protocole pour l’ajouter.
Pendant les huit mois où je suis allé à l’université, j’ai étudié le design des langages de programmation. Pour moi c’était évident que la prochaine étape était faire un protocole qui comprendrait un langage de programmation complet afin qu’on puisse écrire dans la blockchain les règles de n’importe quelle application. Alors ce protocole pourrait comprendre et exécuter ces règles. C’est l’idée principale derrière le projet Ethereum.
Comment, d’une idée qui pouvait paraître un peu ambitieuse, Ethereum, est-il devenu un projet qui lève 18M$ ? Qui sont les aventuriers qui t’ont accompagné sur cette idée ?
En Novembre de l’année 2013, j’ai envoyé la première version du livre blanc (white paper) d’Ethereum à une douzaine de mes amis. À l’époque, je pensais que l’idée avait un potentiel si énorme qu’il était impossible que personne n’ait créé ce projet avant moi ; donc des cryptographes très intelligents allaient me répondre et m’expliquer pourquoi mon idée ne pourrait pas marcher.
Mais j’avais tort. Chacun de ces amis a envoyé mon papier à ses amis, et parmi ces quelques cents personnes, quelques-uns ont répondu, ils m’ont dit que mon idée était très intéressante, et ils voulaient participer – aider à programmer le logiciel, organiser le projet, etc. Il y avait des développeurs, par exemple Gavin Wood et Jeffrey Wilcke (Jeffrey est toujours le développeur principal du logiciel et Gavin Wood développe sa propre version du logiciel d’un nœud du réseau Ethereum, qui s’appelle Parity). Il y avait des mathématiciens, par exemple Charles Hoskinson, d’autres qui ont aidé à établir la fondation Ethereum en Suisse, y compris Mihai Alisie, Anthony di Iorio, Taylor Gerring… Stephan Tual était directeur de la communication pendant longtemps, maintenant il a fondé Slock.it, un projet très intéressant sur Ethereum.
Pendant les huit mois suivant l’envoi du livre blanc, nous avons constitué ensemble une Fondation, commencé notre crowdsale d’éther (ndlr : au cours duquel la Fondation a récolté plus de 18 millions de dollars), et attiré beaucoup de gens très intelligents qui continuent aujourd’hui de participer au développement d’Ethereum, de concevoir des entreprises ou des projets sur la plateforme, de participer à l’équipe de recherche qui travaille sur les prochaines versions d’Ethereum, y compris le passage en « Proof of Stake », l’augmentation de la capacité de traitement des transactions, la confidentialité sur la blockchain, etc.
Comment décrirais-tu Ethereum en quelques mots, pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas encore ?
Cela dépend de l’expérience de cette personne. Si elle connait déjà les technologies blockchain, je lui dis que c’est une blockchain qui comprend un langage de programmation, c’est à dire une plateforme très libre sur laquelle on peut faire n’importe quelle chose et bénéficier des avantages que le blockchain offre (décentralisation, transparence, auditabilité, etc.).
Si c’est un développeur, j’aime l’expression « ordinateur mondial » (world computer) ; c’est l’idée que c’est une plateforme neurale sur laquelle on peut mettre du code, et ce code est exécuté par un système qui est dirigé par les ordinateurs de tout le monde (au moins, tous ceux qui veulent participer). Ça permet de ne pas devoir compter sur un serveur ou une organisation spécifique.
Quel est ton rôle actuel dans la Fondation et l’écosystème Ethereum, et quel rôle souhaites-tu prendre à l’avenir ?
Actuellement, j’en suis le directeur scientifique ; je dirige l’équipe de recherche qui travaille sur les prochaines versions du protocole. Je suis aussi le Président de la fondation.
Je pense que je dois continuer à diriger les recherches pendant quelques années, car il reste plusieurs problèmes importants à résoudre, plus particulièrement il faut améliorer la capacité du protocole à traiter de grande quantités de transactions (scalability) ; après ça, je ne sais pas encore.
Quel est le projet directeur de la Fondation pour Ethereum ? (Vincent Dorut)
La rôle de la Fondation est de réaliser les choses essentielles dans l’écosystème d’Ethereum qui ne peuvent être réalisées que par une organisation qui les finance et les dirige :
- réaliser des travaux de recherche ;
- continuer à développer et implémenter le protocole ;
- former sur la technologie Ethereum, par exemple en réalisant des tutoriels pour les développeurs ;
- communiquer auprès des entreprises, développeurs et autres qui sont intéressés par Ethereum, etc.
En résumé, tout ce que les entreprises dans l’écosystème Ethereum ne peuvent pas entièrement faire elles-mêmes. Mon rôle comme Président de la Fondation c’est d’assurer que nous faisons ces choses le mieux possible.
Dans quelle mesure es-tu impliqué dans les différentes sociétés et projets qui se sont créées autour d’Ethereum ? (Promotion, participation financière ou même technique / développement)
Je suis consultant pour quelques projets (par exemple Augur) ; je suis membre de Wanxiang Blockchain Labs et de Fenbushi, qui réalisent des projets en Chine ; j’aide aussi beaucoup de projets sur Ethereum sans participation formelle, mais je n’ai plus beaucoup de temps à consacrer à cela parce que les recherches et la gestion de la Fondation me prennent l’essentiel de mon temps.
Quand tu parles de recherches, est-ce que tu travailles sur tout ou un sujet en particulier ?
Je travaille sur tout, mais principalement Casper et la scalabilité (capacité à monter en charge).
Que penses-tu de l’ether considérée comme une crypto-monnaie (par les médias et des adeptes d’Ethereum) plutôt que comme crypto-carburant (or cryptofuel), comme cela été écrit dans le whitepaper ? Est-ce que ce ne serait pas une mauvaise compréhension du rôle de l’ether ?
Nous ne nous concentrons pas sur la promotion de l’ether comme crypto-monnaie, mais si la communauté veut l’utiliser comme ça, nous ne pouvons pas les en empêcher.
Personnellement, je pense que cette année beaucoup de crypto-monnaies vont apparaître sur Ethereum, y compris des crypto-monnaies basés sur les monnaies fiat, les actions/tokens des DAOs, les REP de Augur, l’or de Digix, etc ; ma vision est qu’on pourra utiliser toutes ces monnaies sur Ethereum pour payer, et dans le cas où le marchand et le client n’acceptent pas la même monnaie on pourra utiliser des systèmes comme http://etherex.org pour échanger ces monnaies de manière décentralisée.
Qu’est-ce que tu aimerais dire aux « ethereum-maximalistes » (ceux qui pensent qu’on peut tout faire via Ethereum et qu’Ethereum va remplacer Bitcoin et toutes les autres crypto-monnaies) ? Autrefois tu avais critiqué la position des bitcoin-maximalistes.
Je pense qu’il y aura toujours de la place pour plusieurs protocoles indépendants ; un seul protocole ne peut pas satisfaire les besoins de tous, et surtout une communauté ne peut satisfaire tout le monde.
On voit déjà dans la communauté de Bitcoin qu’il y a deux groupes qui ont desvisions différentes pour le futur du bitcoin, et je pense que les deux pourraient être plus heureux s’il y avait deux protocoles séparés pour les satisfaire.
Il y aura des chaines publiques et les chaines privées, il y aura les applications qui vivent entre les différentes chaines, en utilisant les systèmes comme http://btcrelay.org pour communiquer entre elles… C’est la meilleure façon de maximiser l’innovation.
En parlant de ‘maximalisme’, comment prends-tu en compte le fait d’être quasiment « déifié » par une partie de la communauté Ethereum ? (et considéré comme un « génie » par les médias)
Les gens qui me « déifient » exagèrent ou plaisantent bien entendu, il ne faut pas les prendre à la lettre :D. La « Twitter-sphère » est toujours comme ça, les trolls sont les plus bruyants.
Est-ce que cela te pousse à modérer tes écrits, tes tweets ou tu n’y fais pas vraiment attention ?
Il y a un équilibre ; je comprends qu’il faut être plus prudent, mais je ne veux pas que nous devenions comme toutes les autres entreprises et commencions à parler « comme des roches » et pas comme des humains en tentant d’éviter tous les risques.
Fin de la première partie de l’interview. Seconde partie ici.
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