Retour sur la Devcon (3/3) : Introduction au Defensive Accelerationism ou « d/acc »

Le concept d/acc s'est construit en opposition à celui d’« Effective accelerationism » (1) de Beff Jezos. Ce dernier considère que le progrès technologique génère principalement des effets positifs (appelés "externalités" en sciences humaines et sociales). Selon cette vision, il faudrait accélérer la mise en œuvre de ces innovations pour que l'humanité puisse en bénéficier pleinement. Les arguments en faveur de cette théorie sont multiples : quantitatifs, les progrès médicaux sont incontestables, particulièrement au-delà du XXe siècle , mais aussi qualitatifs puisque les acquis sociaux ont progressé également.

Cependant, cette vision optimiste montre rapidement ses limites face aux débats contemporains sur l’usage des technologies numériques. Listons-en quelques-uns :

• Inquiétudes quant au développement rapide et potentiellement incontrôlé des Intelligences Artificielles super-intelligentes. Hier fiction, de nombreux professionnels alertent désormais sur la probabilité de leur émergence dans la dizaine d’années qui arrivent ;
• Risque grandissant de techno-surveillance : notamment avec les outils de reconnaissance faciale contre lesquels lutte la Quadrature du Net en France depuis de nombreuses années ;
• Enfin, la réduction de la vie privée qui pourrait advenir avec la perte de contrôle de nos données si elles étaient exploitées par des entreprises ou d’autres acteurs malicieux.

On le voit bien, la « numérisation du monde » engendre des inquiétudes qu’il faut considérer. Dans ce contexte, "d/acc" émerge comme une synthèse entre deux positions antagonistes, celles des partisans et des détracteurs du progrès technologiques… Examinons cela plus en détail.

Lorsque Vitalik définit le terme d/acc, il joue sur plusieurs interprétation possible de la lettre -d-. Les propositions varient selon les textes : pour « décentralization » en référence à l’écosystème blockchain, « differential » en opposition au concept initial, ou encore « determined » ou « democratic » pour souligner le rôle des acteurs humains dans le développement. Cependant, le terme le plus utilisé, et probablement définitif, reste « defensive ». Pourquoi un tel choix ?

Tout d’abord, selon Vitalik, il n’existe pas de neutralité technologique qui serait « bonne » ou « mauvaise » uniquement selon ses usages. Il considère plutôt que certaines technologies sont intrinsèquement moins dangereuses que d'autres. Par exemple,

« Building tools to help people survive and even live confortable, live independently, or semi-independently of long international supply chains seems like a valuable defensive technology, and one with a low risk of turning out to be useful for offense » (2)

Vitalik souligne la difficulté de classifier les technologies. L'exemple du nucléaire et sa dualité - source d'énergie positive mais arme destructrice - est éloquent. Il consacre surtout une longue analyse aux Intelligence Artificielles (IA), sujet qui suscite des inquiétudes même parmi son public technophile. Des sondages sur son Twitter révèlent que la majorité des participants souhaitent retarder la création d'une IA super-intelligente si celle-ci devait être monopolisée.

Il est important de noter ici que la « théorie de la Singularité » -- c’est-à-dire l'hypothèse d'une évolution des IA vers une super-intelligence artificielle, est un sujet controversé et ne fait pas encore l’unanimité. Jean-Gabriel Ganascia dans son livre Le Mythe de la Singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? considère par exemple que les entrepreneurs promouvant ces théories sont avant tout des "pompiers pyromanes" développant leur business.

Pour Vitalik, bien que la distinction entre technologies défensives et offensives soit complexe, elle reste pertinente pour la plupart d'entre elles. Il propose donc de promouvoir les technologies défensives, soit en remplacement des technologies offensives, soit en privilégiant leur développement.

La perspective d/acc devient ainsi clairement militante. La (re)définition d’une direction pour le développement technologique n’est pas « un processus automatique de marché, c’est le résultat d’une action humaine et d’une action coordonnée ». En d’autres termes, elle relève d’une démarche militante.

Et Ethereum dans tout cela ?

Ethereum fait partie des technologies de défense, sans pour autant en être l'unique représentant. L'analyse de Vitalik est particulièrement pertinente lorsqu'il établit un parallèle entre le monde biologique et le monde numérique. Si les technologies de défense dans le monde biologique comprennent les vaccins, les masques et divers mécanismes de protection sanitaire, leurs équivalents numériques sont les logiciels décentralisés, l'open source et les systèmes d'informations croisées.

En tant qu'espace de coordination, la blockchain occupe une position centrale. Elle représente non seulement une technologie de défense parmi d'autres, mais surtout une plateforme où se débattent et se financent d'autres technologies défensives. Vitalik insiste régulièrement sur le rôle d'Ethereum comme espace d'expérimentation démocratique. Pour notre part, nous y voyons un espace parmi d'autres dans l'histoire, à l'image du concept d'utopies concrètes qui démontre que les expérimentations utopiques ont toujours existé et contribué au renouveau démocratique de leur époque. L’essor d’Ethereum et des DAO participe de ce mouvement.

Ainsi se trouve la force de la proposition de Vitalik : un optimisme rafraîchissant qui dépasse les frontières de la communauté ethereum. L'ouvrage se conclut par une ouverture vers les communautés voisines :  effective altruist, libertarian, pluralist, public health advocate, blockchain advocate, solarpunk, lunarpunk qui trouveront une place dans le mouvement d/acc. 

On notera que les partisans de la sobriété énergétique, critiques naturels de la proposition technologique, ne sont pas mentionnés. Ils ne seront sans doute pas convaincus et  formuleront des critiques sur le techno-optimisme de Vitalik…

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Notes :

1.  L’origine du mouvement Effective accelerationism est difficile à trouver. Plusieurs tweets inauguraux ont été supprimés, mais on peut mettre comme date d’origine le tweet de juin 2022 https://x.com/BasedBeff/status/1531838869624303617 et ces notes fondatrices, datée de juillet 2022 : https://beff.substack.com/p/notes-on-eacc-principles-and-tenets.
2.  Nous traduisons : « La création d'outils permettant aux gens de survivre et même de vivre confortablement, de manière indépendante ou semi-indépendante des longues chaînes d'approvisionnement internationales, apparaît comme une technologie défensive précieuse, présentant un faible risque d'être utilisée offensivement. »